vendredi, août 10, 2007

L'élégance du hérisson, Muriel Barbery


J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre: la beauté des phrases, l'humour léger ou dévastateur, la pureté des sentiments, la finesse des réflexions, tout m'a séduite. Ce savoureux roman a deux voix: celle de Madame Michel, 54 ans, vieille, laide, concierge d'un immeuble bourgeois rue de Grenelle et qui cherche à dissimuler à tous son appétit pour la culture; et celle de Paloma, pauvre petite fille riche de 12 ans, exceptionnellement intelligente, à la recherche de pensées profondes avant de mettre fin à ses jours. Ces deux âmes élevées sont vouées à se rencontrer par l'intermédiaire d'un énigmatique japonais... Un extrait du journal de Paloma:

C'est un invité de papa, au dîner d'hier, qui l'a dit : "Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire enseignent, ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique." (...) Je m'explique : il n'y a pas plus midinette que le cynique. C'est parce qu'il croit encore à toute force que le monde a un sens et parce qu'il n'arrive pas à renoncer aux fadaises de l'enfance qu'il adopte l'attitude inverse. "La vie est une catin, je ne crois plus en rien et j'en jouirai jusqu'à la nausée" est la parole même du naïf contrarié. (...) Moi je pense que cette phrase est une vraie pensée profonde, justement parce que ce n'est pas vrai, en tout cas pas entièrement vrai. Ca ne veut pas dire ce qu'on croit au départ. Si on s'élevait dans la hiérarchie sociale en proportion de son incompétence, je vous garantis que le monde ne tournerait pas comme il tourne. Mais le problème n'est pas là. Ce que veut dire cette phrase, ce n'est pas que les incompétents ont une place au soleil, c'est que rien n'est plus dur et injuste que la réalité humaine : les hommes vivent dans un monde où ce sont les mots et non les actes qui ont du pouvoir, où la compétence ultime, c'est la maîtrise du langage. C'est terrible, parce que, au fond, nous sommes des primates programmés pour manger, dormir, nous reproduire, conquérir et sécuriser notre territoire et que les plus doués pour ça, les plus animaux d'entre nous, se font toujours avoir par les autres, ceux qui parlent bien alors qu'ils seraient incapables de défendre leur jardin, de ramener un lapin pour le dîner ou de procréer correctement. Les hommes vivent dans un monde où se sont les faibles qui dominent. C'est une injure terrible à notre nature animale, un genre de perversion, de contradiction profonde.

et pour ceux qui s'interrogent sur le titre:

Mme Michel, elle a l'élégance de l'hérisson : à l'extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j'ai l'intuition qu'à l'intérieur, elle est aussi simplement raffinée que les hérissons, qui sont des petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes.

1 commentaire:

Jass a dit…

Et voilà !! J'ai mis tellement de temps pour publier mon post que tu me voles la vedette ! :) Excellent livre évidemment. J'ai beaucoup aimé le style d'écriture, j'aime la poésie des mots avant tout mais l'histoire est également charmante, inattendue, un peu irréaliste mais c'est le propre d'un roman...